C’était il y a trente ans, en 1991.
Ghislaine Dejardin devenait la première femme à occuper la fonction de Bâtonnier du Barreau de Caen.
Personnalité marquante et respectée, elle fut réélue en 2001.
Avocat honoraire, elle continue aujourd’hui de participer activement à la vie de notre Barreau.
A l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, elle évoque son expérience.
– Pourquoi avez-vous décidé de vous présenter au Bâtonnat en 1991 ?
J’étais au Conseil de l’Ordre depuis plusieurs années et je voulais m’investir. Ce fut un peu un concours de circonstances puisque nous étions à un moment important pour notre profession : celui de la fusion entre les professions judiciaires et juridiques, et je trouvais qu’il y avait un travail intéressant à faire. Nous étions 80 avocats « judiciaires » et avons intégré dans le Barreau 40 conseils juridiques. Ce n’était pas une mince affaire que de réussir une telle fusion entre des personnes qui n’avaient pas la même activité et la même déontologie, que l’on ne connaissait pas, de sortir de notre petit entre-soi. Cela m’a motivée.
Ce fut le travail essentiel de mon Bâtonnat, avec une concertation continue pendant toute une année. C’était un gros boulot et je suis contente de ce que nous avons réussi à faire puisque l’intégration des conseils juridiques s’est réalisée dans de bonnes conditions, à tel point que six ans plus tard, un ancien conseil juridique, Jean-Pierre Marin a été élu Bâtonnier face à des candidats issus du « judiciaire », preuve que les confrères caennais avaient totalement assimilé cette fusion.
– Le fait d’être une femme a-t-il fait une différence ?
Pour moi ce n’était pas une question d’homme ou de femme. Je n’ai pas senti de difficulté particulière sur le fait d’être une femme. Peut-être aussi était-ce une époque où, avec la réforme et la fusion des professions, les confrères avaient envie d’avoir « l’air un peu moderne ». On était très peu de femmes bâtonniers à l’époque, peut-être trois ou quatre. Rouen avait montré le chemin, puisque l’année d’avant une femme, Patricia PANZERI-HEBERT, avait été élue. Peut-être que cela a joué et que les confrères se sont dit « tiens ce serait bien que l’on fasse comme à Rouen ». Mais le fait d’être une femme n’a pas été pour moi un obstacle auprès de mes confrères. On avait beaucoup évolué et j’ai d’ailleurs été élue face à deux confrères masculins renommés. J’ai bien conscience en revanche que le fait d’être une femme Bâtonnier a pu parfois étonner des personnes extérieures à notre profession. Je pense à une anecdote qui m’a amusée : il m’a été rapporté qu’après l’un de mes discours, une personnalité présente avait déclaré « elle a parlé comme un homme », ce qui était manifestement un compliment.
– Était-il difficile de tout concilier ? Le Bâtonnat, le métier d’avocat et la vie personnelle ?
Oui quand même. Mes fils avaient 10 et 13 ans. Ça n’était pas forcément évident mais je ne me suis pas vraiment posé la question. Cela a tout de même demandé une organisation parce que le Bâtonnat c’est 100%, même quand on n’y est pas, on y pense tout le temps. Mais je ne l’ai pas vraiment senti comme ça. J’ai eu envie de participer à l’organisation du Barreau à une époque où les choses bougeaient beaucoup.
– Y a-t-il eu d’autres faits marquants pendant les deux années de votre premier Bâtonnat ?
Oui, il y a eu l’application de loi sur l’aide à l’accès au droit. C’était la première fois qu’il y avait des aides à la consultation et aux procédures non judiciaires. Il fallait trouver des volontaires. J’ai continué ce travail ensuite en prenant au Conseil National des Barreaux la présidence de la Commission accès au droit. C’était quelque chose qui m’intéressait.
Il y a eu également ce matin de septembre 1992 où j’ouvre le journal Ouest France et découvre avec stupeur que la nouvelle cité judiciaire [la Cour d’appel actuelle] pourrait être construite à Hérouville Saint Clair sans qu’on ait été averti par qui que ce soit. J’ai immédiatement alerté le Maire de Caen qui était alors Jean-Marie Girault et il y a eu toute une bagarre pour que la Cour d’appel reste à Caen. Tout le monde était vent debout. Nous avons fait des manifestations, nous sommes allés au Conseil municipal en robe, nous avons été reçus ensuite à la Chancellerie et nous avons vécu de grands moments puisque nous avons découvert que personne n’était au courant de ce projet, ni le Bâtonnier, ni le Premier Président, ni le Procureur Général ! Finalement la Cour d’appel s’est implantée à Caen.
– Vous avez souhaité vous présenter au Bâtonnat 10 ans plus tard ? quelle était votre motivation ?
Peut-être justement parce que j’avais consacré beaucoup de temps lors du premier Bâtonnat à travailler sur cette fusion, je pensais qu’il y avait des tas d’autres choses à faire. J’étais encore jeune, je n’avais jamais cessé de participer à la vie du Barreau au sein du Conseil de l’Ordre pendant toutes ces années et je trouvais intéressant de reprendre cette fonction et d’être utile à ma profession. J’ai eu notamment le plaisir de créer avec Robert Apéry qui m’a précédé, le Colloque de Cabourg, un évènement qui existe toujours aujourd’hui et réunit chaque année de nombreux avocats autour d’un thème choisi. C’est un moment important pour notre Barreau, un instant de convivialité et de lien auquel je demeure attachée. La relation c’est essentiel. C’est d’ailleurs ce qui m’a particulièrement marqué lors de mes deux bâtonnats, cette relation très particulière qui se noue avec les confrères. La confiance dans la parole du Bâtonnier, c’est important.